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Elle portait la nuit comme une robe..

 Je l’ai vue assise seule au fond d’un bar, là où la lumière des néons meurt avant d’atteindre le cuir des banquettes. 

Elle portait une robe noire, fluide comme une caresse préméditée, courte juste ce qu’il faut pour séduire sans supplier.
Ses jambes croisées dessinaient la nonchalance d’une femme qui sait qu’on la regarde, sans jamais inviter le regard.
Un verre de whisky ambré à la main - de l’Irish, sans doute - qu’elle faisait tourner lentement, comme si elle attendait le bon moment pour partir.
Ou le bon inconnu pour rester..

Je me suis approché doucement, presque à contresens de moi-même.
Sans raison claire. Peut-être par instinct. Peut-être par curiosité.
Sûrement par solitude.

Bonsoir, j'ai dit.
Bonsoir, elle a répondu, avec un sourire fragile, comme un vase qu’on a recollé.

Quand elle a levé les yeux, j’ai vu la fatigue… belle, tragique, douloureusement humaine.

Une beauté étrange, un visage maquillé à outrance, mais qui ne cachait rien. Au contraire, il criait tout.

On a parlé. Un peu.

Sa voix était à la fois rauque, douce, fêlée. Comme une chanson qu'on écouterait en boucle sans jamais comprendre les paroles.

Je n’ai pas posé de questions, elle n’a rien expliqué, je n'ai pas marchandé, elle n'a pas reculé. Ce n’était pas une affaire, c’était une fuite, à deux.

On a juste parlé. Un peu.

Une heure plus tard, on a quitté le bar, sans vraiment quitter les lieux ; il se cachait au rez-de-chaussée de l’hôtel où je logeais, un établissement au nom presque trop évocateur pour être anodin : Liberté.
Ironique, peut-être. Mais ce soir-là, ça sonnait comme une promesse tenue.
On a pris l’ascenseur en silence, comme deux confidences montées lentement vers un étage sans témoin.

Une fois la porte close, elle a traversé la pièce d’un pas lent. Nos regards ne se fuyaient pas, mais ne se cherchaient plus.
Elle s’est assise sur le bord du lit, gestes mesurés, presque chorégraphiés.
Moi, je suis resté près de la fenêtre, regard perdu sur la ville à 3h du matin, avec une cigarette qui ne réchauffait que mes doigts.

Je me suis mis à parler.
Peut-être que c’est tout ce que je cherchais, finalement, une oreille.
Quelqu’un qui écouterait… sans chercher à réparer.

Et puis elle aussi s’est mise à parler.
Doucement.
Pas comme on se confesse, mais comme on saigne.

Au début, sceptique que je suis, j’ai cru que c'était un rôle. Une mise en scène.
Une tendresse feinte pour "attendrir", et soutirer un billet de plus.
Mais non.
Il n’y avait rien de joué dans sa voix.
Juste des silences mal recousus, et des souvenirs trop lourds pour rester en elle.

Elle m’a parlé de ces années floues.
De ces rendez-vous feutrés dans des chambres sans noms, où l’on déballe son charme comme une oeuvre d’art qu’on vend sans jamais brader.
De ces hommes en costume, qui ferment les rideaux mais jamais les yeux.
D’une solitude raffinée, dissimulée sous le satin, les éclats de rire forcés, et les bulles de champagne.

"Je n’ai pas cherché ça", m’a-t-elle dit. "Mais parfois, la vie ne laisse que des issues joliment décorées."

Puis elle a ajouté, presque pour elle-même : "Tout le monde fuit quelque chose, pas vrai ?"

J’ai hoché la tête.
Moi aussi, je fuyais.
Peut-être même depuis toujours.

Mais ce soir-là, j’étais là.
Juste là. Avec elle.

On n’a rien fait. Pas vraiment.
Il y avait entre nous ce silence brut, dense, presque sacré - celui qu’on ne trouve qu’après l’abandon, pas l’envie.
À un moment, sans trop y penser, je lui ai posé la main sur l’épaule. Un geste banal, presque pudique.
Elle a sursauté.
Pas de peur. Pas vraiment.
Elle, qui avait tout connu - les mains pressées, les corps urgents, les gestes sans âme - tremblait à cette caresse simple?

C’était l’absence de masque.

Sa vulnérabilité nue, inattendue.
Et comme si son corps venait de se rappeler qu’un contact pouvait encore être sincère.

On a parler pendant des heures, puis lors d'un des silences, elle a fermé les yeux. Et peu après, elle s’est endormie.
Paisiblement. Comme une fatigue trop longtemps repoussée.

Moi, je suis resté là, comme toujours,éveillé.
Les yeux ouverts sur le plafond. Le coeur, lui, plein d’un silence nouveau.


Cette nuit-là, on s’est regardé comme deux étrangers qui se reconnaissent trop tard.

Elle avait son abime, j’avais le mien. 
Et dans ce lit qui ne garde aucun souvenir, on a trouvé un fragment d’humanité,
juste assez pour tenir jusqu’au matin.

.

.

.

Quand elle a demandé si elle pouvait me revoir, j'ai souri.
Un sourire sans lumière. Mais sans amertume.

"Ce genre de nuits est fait pour les rencontres qui s’effacent..".


.

.

.

Je suis parti.
Derrière moi, une porte s’est refermée.
Mais en moi, quelque chose venait de s’ouvrir.

 

-M. 

 

Disclaimer : Histoire imaginaire, Toute ressemblance avec la réalité serait pure coïncidence... ou un clin d'œil du destin.